Autre aspect du design de personnage est la possibilité d’en faire des versions en “vraie 3D”. Non, je ne parle pas de modélisation 3D logicielle, comme avec Blender. Je veux vraiment dire de la “3D physique du monde réel“: vous pouvez toucher, avec vos doigts, sentir des bosses ici et là… Je sais, quelle incroyable technologie! 😉
Avec de l’argile (ou d’autre matériaux qui conviennent au modèle), vous pouvez représenter vos personnages, vos objets, et même des lieux de décors, avant même de filmer, dessiner, modeler en 3D (ou quelle que soit la technologie utilisée par votre film) les dits éléments. Ces techniques sont communes à probablement toute école d’animation, et studios d’animation. Il ne s’agit donc pas de faire des accessoires utilisés dans le film, mais bien pour faire le film (c’est à dire qu’ils ne seront pas visibles au final à l’écran). Les modèles physiques sont un outil de design ou une référence pour les modeleurs 3D, peintres, animateurs, acteurs et réalisateurs.
Petite aparté: nous avons vu quelques exemples bien sympa de cela en visitant le Weta studio en Nouvelle Zélande (studio célèbre qui fait les accessoires de la plupart des gros films hollywoodiens). Parmi d’autres choses, ils avaient cet énorme gorille — taille réel, je pense plus de 2 mètres de haut — qui fut créé uniquement pour servir de référence (je ne me souviens plus du film, et si même ils nous avaient dit le nom).
Vous rappelez-vous, quand je disais dans un post précédent que les feuilles de personnages sont utilisés comme références? Eh bien, si en plus des dessins “turnaround”, vous aviez votre modèle physique autour du quel vous pouvez vraiment tourner (turn around (anglais) = tourner autour)? Nous n’avons pas de vrai marmottes, mais nous avons donc des modèles en argile:
Plutôt cool, hein? 🙂
Ces statuettes furent réalisées en Novembre dernier, et à l’époque, hormis un court message sur le compte twitter de @ZeMarmot en décembre, nous n’avons pas pensé à en faire un poste. Leur but initial fut d’aider au choix du nouveau design du personnage principal, en expérimentant dans les formes “physiques”. Bien sûr, ces statuettes seront probablement encore utiles à l’avenir, par exemple — comme je disais plus haut — pour le dessin (en perspective notamment), le positionnement, etc. Voire même de la modélisation 3D s’il nous prenait l’envie de réaliser un modèle 3D de notre marmotte!
Vous avez peut-être d’ailleurs aperçu certaines de ces statuettes dans l’interview vidéo d’Aryeom, sur son bureau. C’est là que je me suis dit que ces petites statuettes méritaient bien leur propre publication sur le blog, vous ne pensez pas? 🙂
Note: ce post fut initialement publié seulement pour les
contributeurs Patreon > $10 le 27 février 2016 et rendu public
le 3 mars. Jetez un œil sur la page Patreon de ZeMarmot si
vous souhaitez également soutenir le projet.
Aujourd’hui nous lançons une page Patreon pour ZeMarmot. Si vous ne connaissez pas, Patreon est simplement une plateforme de crowdfunding accès paiements récurrents, et principalement utilisé pour de la création artistique. Puisque le pilote de ZeMarmot est en pleine production en ce moment, le sponsoring est mensuel. Après tout, Aryeom travaille quotidiennement sur le projet! Moi aussi d’ailleurs, mais sur un autre plan.
Bon la page Patreon est en anglais étant donné notre public très international, mais pour l’occasion, on a aussi un peu mis à jour le site web du film, comme d’hab en Français (et aussi Coréen et Italien). Vous y trouverez toute info utile pour vous faire une idée. 🙂
Alors si ça vous plaît et que vous souhaitez nous supporter davantage, n’hésitez pas et cliquez sur le gros bouton “Contribuez à ZeMarmot sur Patreon“. 🙂
Aujourd’hui on va parler de storyboarding. Alors que sur les films hors-animation, cela peut souvent être délaissé, dans l’animation par contre, sauter cette étape serait un suicide technique (à moins que ce soit une animation conceptuelle “aléatoire”, je suppose).
Une fois le scénario écrit, le réalisateur travaille sur le côté visuel des scènes. Ainsi alors que le scénario se contente de dire que “le personnage A fait cela, pendant que B fait cela“, le réalisateur décidera où sera la caméra, si et comment elle se déplacera, d’où A arrive-t-il à l’écran, si peut-être B est déjà dans le champs de la caméra, etc.
Avec un décor réel, les choix sont souvent dictés par ce dernier, notamment car on ne peut pas placer la caméra n’importe où (du moins pas aisément. Installer des caméras dans des conditions difficiles peut prendre des heures). Donc ce qu’on imaginerait à son bureau n’est pas forcément faisable dans un décor réel. Outre ces limitations matérielles, la particularité d’un décor peut donner de nouvelles idées et influencer vos choix, et simplement en fonction des personnalités, certains réalisateurs aiment faire des changements de “dernière minute”. Un “processus créatif”, diront certains. Note: mon expérience est limité sur ce que j’ai constaté sur certaines productions françaises. Je pense que des gros blockbusters holliwoodiens, en particulier s’ils ont beaucoup de 3D, auront peut-être bien plus de préparation, donc notamment des storyboards détaillés.
Par contre, en animation, une telle flexibilité peut être votre pire ennemi. Changer un script, ce n’est pas un problème sur le papier. Mais si vos animateurs ont commencé à dessiner des scènes détaillées, à 24 images par seconde, vous ne pouvez pas leur annoncer un mois plus tard: “finalement on va faire rentrer le personnage à droite, et changer l’angle de la caméra! Boah, c’est juste 2 minutes de films (3072 images) après tout!”
En outre les “caméras” en animation n’ont (presque) aucune limitation autre que l’imagination du storyboarder et du réalisateur. Elle peut être fixe, aussi bien qu’elle peut tomber du ciel, si vous le souhaitez. Donc la “réalité” n’est plus une raison pour changer les choix précédemment faits, de toutes façons.
C’est la raison pour laquelle, vous devez arrêter de changer d’avis et “geler” vos choix à un moment donné. Cela est fait à la fin du storyboard, qui sera en général le dernier moment où vous devriez vous autoriser de changer (pas toujours vrai, mais disons que c’est un idéal pour ménager le travail).
Contenu d’une page de storyboard
Voici un exemple de notre storyboard pour ZeMarmot. Cette page a en fait été revue depuis cette version, mais c’est un bon début pour expliquer comment cela marche.
En-tête
L’en-tête est important. Vous y voyez le numéro de scène (à reporter par rapport au scénario) et un numéro de page relatif à la scène en cours, pour garder les documents organisés. Ce type de documents est typiquement rangé dans un classeur.
Timeline
La ligne de temps en dessous contient les images clés sur la gauche, avec les éléments principaux à l’écran (personnages et éléments importants) dans leur position approximative et attendue. Cela donne une bonne idée de ce qui apparaîtra à l’écran, sans être encore parfaitement détaillé et mesuré. Remarquez comme certaines images peuvent sortir de l’écran (comme la troisième image de la feuille ci-dessus), avec la flèche indiquant “Pan”, afin de décrire un déplacement horizontal de la caméra (panning en anglais). C’est pourquoi le décor devra être dessiné plus grand que le format de l’écran. C’est donc une indication pour le peintre, l’animateur et l’éditeur.
La partie droite contient des indications diverses qui doivent être explicités car pas forcément évidentes (voire absentes) sur l’image à gauche. Par exemple des sons ou de la musique qui doit être synchrone sur une image, ou des détails sur l’action ou les personnages… Parfois les indications seront écrites directement sur l’image, avec des flèches ou autres symboles, quand cela permet une meilleure compréhension de l’action.
Il n’est aussi pas rare qu’une image soit ainsi étalée sur plusieurs “boîtes” pour un panning vertical, ou qu’elle mange sur la partie “commentaires” pour un panning horizontal. Dans l’exemple ci-dessous, le panning prend même approximativement 3 fois le format d’écran en largeur, donc Aryeom colle un bout de papier à gauche pour agrandir l’espace dessiné, et continue sur la partie des commentaires à droite:
C’est là qu’on voit que des petites boîtes parfaitement organisées les unes sous les autres ne correspond pas nécessairement à toutes les situations. Et donc on improvise. 🙂
Papier et Numérique
On est aussi moderne, et le dessin sur l’ordinateur est donc aussi commun. Aryeom fait usage des deux types de medium. Elle dessinera souvent des bouts du storyboard sur papier quand elle n’est pas au studio, ou peut-être qu’elle veut travailler parfois en analogue. Mais elle sort aussi régulièrement la tablette graphique pour continuer.
C’est après tout bien plus simple d’ajouter des “boîtes” ou de changer d’idée avec un logiciel de dessin. Voici par exemple un aperçu du travail en cours par Aryeom, dessiné sur GIMP, comme d’habitude:
C’est fini pour aujourd’hui! Si vous vous demandiez ce qu’était un storyboard, j’espère avoir été clair. 🙂 On postera sûrement encore sur le sujet, donc là encore, je rajoute un petit (1) dans le titre. 🙂
Parlons de design de personnage! Sujet compliqué s’il en est, et je prévois donc plusieurs posts à suivre. On entend aussi parfois parler “d’étude” car c’est bien de cela qu’il s’agit: l’étude d’un personnage. Le “character design” (en anglais) est donc bien plus que simplement un choix de style graphique, comme vous pourriez le faire pour une œuvre unique. Cela implique des essais et erreurs.
Que sont les feuilles de personnages (“character sheet”)?
Nous avons revu le design de la Marmotte plusieurs fois avec Aryeom. Il s’agit du personnage principal, après tout! Vous vous rappelez peut-être certains de nos premiers designs (que nous avions postés il y a en gros un an), et vous reconnaîtrez probablement celui que nous avons utilisé dans notre film d’accroche:
Je ne suis pas certain du terme français, mais en anglais, nous appelons ces feuillets de personnage des “turnaround” sheets, ce qui veut dire en gros des feuilles de tour-sur-soi (?).
Au passage, excusez par avance l’usage de nombreux termes anglais car nous ne trouvons pas les équivalents en français (je ne suis même pas sûr qu’il y en ait).
Les turnaround sheets montre donc un personnage sous divers angles, en général au minimum l’avant, l’arrière, et au moins un côté (voire les deux côtés si le personnage ou ses vêtements ne sont pas parfaitement symétrique). Parfois vous pouvez avoir plus d’angles, ou mêmes des feuilles se focalisant sur une partie précise du corps, avec de faibles rotations (par exemple, plusieurs angles sur le dos, etc.).
Marmotte a connu diverses autres versions, par exemple l’une des premières conceptualisations était super mignonne. J’en suis encore fan:
Vous l’aurez remarqué, c’est un autre type de feuille de personnage. On appelle normalement ce type de feuille une “rough” character sheet, c’est à dire une série d’ébauches rapides du personnage, dans diverses positions ou situations. C’est une feuille complémentaire au turnaround et en fin de phase préparatoire, vous avez probablement plusieurs de l’une et de l’autre pour le même personnage. Les roughs sont souvent créés en premier, mais j’imagine que cela dépend aussi de l’artiste et des préférences.
Et donc à quoi servent ces feuilles? Bien sûr l’un des buts de base est l’aide au travail collaboratif: si plusieurs artistes doivent dessiner le même personnage, il convient de s’assurer que chacun ne dessine pas sa propre version (sauf si c’est l’effet désiré). La cohérence est le mot clé ici. Mais même en travaillant seul, vous devez être cohérent avec vous-même! Avec votre propre travail comme seul référence, le style choisi et les attributs du personnages sont progressivement dilués dans le temps. Supposons que vous utilisiez vos propres scènes en référence. Le personnage scène 30 ressemble à celui scène 29. De même entre scène 29 et 28. Mais vous avez peut-être fait des changements infimes entre chaque scène, si petits que vous vous soyez dit que ces petites variations n’ont pas d’importance. Mais cumulés, le personnage scène 1 est peut-être très différent en scène 30!
C’est la raison pour laquelle vous avez besoin d’une référence fixe et unique à laquelle se reporter. Toujours la même. Vous la préparez donc avec divers angles et situations. Ce sont les character sheets.
Notons bien que c’est aussi (voire encore plus?) utile pour les films en 3D. Dans ce cas, les character sheets ne sont pas une référence pour les peintres mais pour le modeleur 3D (et l’animateur aussi pour les poses clés).
Enfin cela vous permet de construire un personnage solide. En le dessinant encore et encore, vous en venez à le comprendre, ainsi que son but et ses actions. Pourquoi porte-t-il ces vêtements? Comment a-t-il eu cette cicatrice? Y a-t-il une marque de naissance ici? Qu’est-ce que cette personne aime faire? Aime-t-elle courir? Pleure-t-elle facilement? Sans cette phase d’étude, qui passe autant par le graphisme que par le texte, vous construiriez le personnage en même temps que vous produisez le film, créeriez des irrégularités et des incohérences. J’ai souvent lu des BDs avec des personnages parfois gauchers, parfois droitiers, selon les scènes, ou avec des des attributs aussi importants que des cicatrices disparaître sans raison. Pourquoi? Probablement car ces attributs n’avaient pas de vrai signification dans la construction du personnage, et donc avaient disparu de l’esprit du créateur (hors cela, bien sûr, les erreurs et oublis arrivent toujours, character design ou pas. Ce n’est pas non plus une protection parfaite. Mais ça aide).
Au final, c’est toujours une question de cohérence, mais aussi pour créer un personnage un peu plus profond, que les gens aimeront ou détesteront, et dans tous les cas, en lequel ils croieront.
Bien sûr, tout cela n’est que règle “de base”, et il se peut qu’il y ait des styles où un character sheet (feuille de personnage) détaillé ne soit pas nécessaire, voire carrêment indésirable (ce serait rare, mais pourquoi pas!). Les règles sont là pour être cassées, mais seulement si vous savez pourquoi vous le faites et en comprenez les conséquences. Sinon c’est en général mieux de les suivre.
Le design actuel de Marmotte
Lorsque nous diffusions notre film d’accroche, on a entendu quelques fois: «ce chat est trop mignon!». Alors on ne fait pas un film documentaire, mais on veut que les gens reconnaissent l’animal dessiné tout de même (bon ce n’était pas non plus extrême puisque la plupart des gens comprenaient tout de suite qu’il s’agissait d’une marmotte; en outre nous nous sommes rendus compte que les marmottes sont très peu connues dans de nombreux pays, ce qui explique la non-reconnaissance). D’un autre côté, même si on ne veut pas faire un film extrêmement anthropomorphique, il s’agit d’un film sur une marmote qui voyage avec un baluchon, donc avec une part d’anthropomorphisme non négligeable à la base. Alors quitte à ne pas être totalement réaliste, faisons le bon compromis entre rigueur scientifique et “fun“.
C’est ainsi qu’après notre voyage de référence dans les Alpes, et avoir photographié plein de marmottes, Aryeom a essayé plein de nouveaux designs. Pour référence, voici une vrai marmotte des Alpes:
Allons au plus court, voici donc notre nouveau design:
Remarquons que nous nous autorisons encore à faire évoluer le design avant production (c’est à dire avant dessin final), mais on s’est dit que ça valait le coup de vous montrer ce nouveau design, que vous avez peut-être déjà remarqué dans notre dessin de nouvelle année.
Qu’en dire? Déjà il ressemble bien plus à une marmotte, tout en gardant des caractéristiques anthropomorphiques. On ne voit plus de longues jambes comme on voyait sur les designs précédents, le museau est plus proche de la réalité, les yeux sont sur le côté plutôt que devant, et les oreilles sont plus basses (je pense que les oreilles en particulier étaient l’attribut faisant penser à un chat précédemment). Les doigts aussi suivent l’anatomie des marmottes: 4 doigts sur les mains, 5 sur les pieds.
Le schéma de couleur a aussi été revu: plus clair et brun. La couleur un peu grisâtre faisait un peu penser à une souris (bien que certaines marmottes ont vraiment cette couleur un peu grise). D’ailleurs vous pouvez remarquer comment Aryeom place la palette du personnage directement sur le design, lui permettant ainsi de sélectionner une couleur aisément directement à partir du design lors de la production (un des nombreux avantages du dessin sur ordinateur). Ainsi un character sheet colorié sert non seulement à la cohérence des traits, mais aussi à la cohérence des couleurs).
C’est tout pour l’instant. Bientôt d’autres posts sur le character design et d’autres sujets!